Hall of Shame/summer camp et autres révélations

Rendez-vous est pris au bord du terrain d’entrainement personnel du Coach Black Salamander. “Soyez ponctuels“, précise la salamandre Noire. Nous le sommes. L'entretien peut débuter.




Samedi matin, 28 mai. Au bord d’un terrain d’entrainement privé, nous volons le cliché d'un coach Black Salamander anéanti par les défaites.


Jamais un coach professionnel n'aura connu pareille humiliation lors d'une ligue d’amateur. Avant dernier. La punition. Le cul. “Je suis totalement détruit“, annonce d'emblée Black Salamander. Visage émacié, barbe mal taillée, l'homme n'a visiblement pas que du sang dans les veines. Pour la 6ème fois cette saison, il aura essuyé une défaite après avoir dominé le premier tournoi interne [Première place incontestable avec la même équipe que celle alignée en ligue officielle - NDLR]. D'une main tremblante, il nous désigne la multitude de petits cratères qui constellent le mur de la fosse des remplaçants. A nos pieds gisent les reliquats brisés d'une paire de dés en fer Martoni. Les propos sont décousus, incohérents.
“Des heures… des nuits à m'entrainer contre ce putain de mur. A jeter ces putains de dés. Toujours plus vite, toujours plus précis. J'en ai saigné des doigts, putain!! Je me suis même pété l'auriculaire en deux endroits pour avoir une meilleure prise dans les blocks à 3 dés!! Tu sais ce que ça fait de se péter un doigt avec les dents?!“
Le regard est totalement fou, rougi par les drogues et l'insupportable douleur d'un classement aussi lamentable. Derrière nous, un homme en survêtement, cheveux blancs en bataille et sourcilles bruns étonnamment fournis nous questionne: “Clairefontaine ?“
“C'est plus au sud“, répond machinalement la salamandre sans même levé les yeux d'une feuille d'équipe tâchée de larmes et de sang.
“C'est comme perdre un œuf que tu aurais couvé pendant des mois. Tu le réchauffes, tu le retournes régulièrement. Tu te lèves la nuit pour changer la paille de son nid… Et puis un jour, alors qu'il est prêt à éclore… T'as déjà couvé un œuf?“ Je fais “non” de la tête, mais la salamandre ne me voit déjà plus. “Après le 20ème fumble sur activation de KIKI, j'ai dévoré ma casquette pour ne pas hurler. Lorsque le Moute a intercepté la passe qui m'empêche de revenir au score, j'ai pour la 1ère fois attenté à mes jours. Mais la corde a cassé. Ce n'est qu'après la 3ème esquive raté par un de mes Gutter Runner que j'ai trouvé un outil suffisamment tranchant pour m'ouvrir les poignets. Mon assistant m'en a empêché. Le salopard. J'espère qu'il a souffert quand je l'ai balancé, nu dans la tribune des supporters de Slaanesh .“
Timidement, nous tentons de l'interrompre. Nous savons que le peuple attend des réponses, qu'il nous faut poser les bonnes questions, à base de “pourquoi n'avoir fait que 4 sorties sur 9 match avec KIKI?” ou encore “la perte de vos reroll dès le tour 3 a-t-elle été un tournant de vos matchs? “. Mais le BS ne l'entend pas de cette oreille. Le monde ne semble plus se résumer pour lui qu'à sa pitoyable feuille d'équipe qu'il chérit comme un enfant. “A 3 défaites consécutives, j'y croyais toujours, vous savez. Ca allait tourner. Ca devait tourner! Mais quand on m’a dis que KIKI était gros débile, j'ai senti quelque chose se briser en moi. “
Tranquillement, presque sereinement, il déchire sa feuille d'équipe et s'enfourne un à un les morceaux dans la bouche. Nous sommes tétanisés. Devant nous, un homme est en train de descendre aux enfers.
Une déglutition interminable, puis il reprend: “6 défaites. Putain, 6 défaites… Vous vous êtes déjà fait enc[CENSURE] par un poney? Non? Moi non plus… mais je visualise désormais très bien ce que ça fait. J'aime les Bières du Moute vous savez. Surtout celles à la banane. “Il se lève, le visage ravagé de tics nerveux, et se met à arpenter la pièce de long en large, de plus en plus vite. Sa voix tremble, passe des graves aux aigües, se brise. Il sanglote, rit, se noie dans la démence. “Une fois, j'ai mis trop de pudding d’un coup. Avec les copains, on a bien rigolé! J’en ai recraché partout! Mais quand IL A TIRE BLITZ SUR SON PUTAIN DE COUP D'ENVOI, JE… J'AI… Faites attention les enfants, ce n'est pas un jouet, c'est un animal vivant. Kevin, repose-le dans sa cage s'il te plait. BLITZ, PUTAIN !!! BLITZ !!! Saviez-vous qu'il est préférable de tenter une 3+ relançable plutôt qu'un 2+ non relançable? 6 défaites!! MAIS ALLEZ-Y !! DEFONCEZ-MOI !! J'AI DEJA LE CUL GROS COMME LA PORTE DES ETOILES, ALORS UN DE PLUS OU UN DE MOINS !!! Vous êtes en retard monsieur, nous fermons à 19h. “
Instinctivement, nous nous sommes lentement retirés vers le portail du camp d’entrainement. Le BS n'est plus des nôtres, intellectuellement parlant. Dans la fosse des morts, il va chercher une petite mallette noire, dont il extrait un petit suisse à la gencive de porc. Il est temps de nous éclipser. L'homme fredonne un “René la Taupe” un peu faux tout en ouvrant méthodiquement le pot.
Le déclic de mon appareil photo qui s'allume semble le ramener à nous l'espace de quelques instants.
“Il l'a intercepté vous savez. Il l'a faite, sa putain d'interception au moment où j’allais égaliser. Avec un hobgobelin. Vous aimez les bières? Personnellement, je préfère celles à la banane, mais tous les goûts sont dans la nature, hein? INTERCEPTION, PUTAIN, INTERCEPTION!! Kevin, repose cet animal! Et range ce couteau! J'ai croisé Gag ce matin. Il cherchait une corde. Je lui ai prêté la mienne. Même raccourcie, elle peut encore servir. KEVIN !! Il est 19h, monsieur, nous sommes fermés.“
Nous refermons doucement le portail derrière nous, et soufflons longuement, appuyés contre notre voiture. Sur le Parking, nous croisons monsieur Patrice Evra qui peste contre lui-même “Merde, le coach n’a pas pris notre communiqué de presse spécial grève“. Un homme charmant. “Quand même, il aurait pu lui donner ce communiqué avant“, dis-je à mon collègue en montant dans la voiture.